Un mois, un garage, par le CESCQUAL

Le garage Citroën de Clément Robert à Béziers

Nous sommes à Béziers, au 60 avenue Saint Saens.

Ce garage Renault retient l'attention. Ah! quel style dans la façade!

Normal c'est en fait un Citroën.


Mais regardons mieux les détails. voyez vous des médaillons, un peu partout sur le fronton et même sur la vitre?
Ils figurent un C et un R entrelacés.
C et R, pour Clement Robert.

Je ne sais pas dire au juste quand le garage Clément Robert de Béziers a cessé d'être un Citroën.

Cette facture ci-dessous montre en tout cas qu'en 1952 il était encore fidèle au double chevron. Peut-être y a-t-on vendu des DS en 55?

Mais qui est donc ce Clément Robert?

Eh bien il se trouve que sa petite fille tient un blog, ce qui m'a permis de lire une partie de son histoire.

Voici l'adresse de ce blog:
http://journaldunexilee.blogspot.fr/2011_07_01_archive.html

Outre ce lien, je vous résume le passage qui nous intéresse, car parfois les archives des blogs disparaissent soudain, nous laissant orphelins.

Jules Clément Robert, né à Béziers en 1886, fait ses études à Paris au lycée Janson de Sailly, à l’école de musique Niedermeyer, puis au conservatoire avec Albert Lavignac et Georges Caussade. Il compose une quinzaine d’œuvres de 1906 à 1912 mais abandonne la musique pour une femme, Eugénie Vidal la fille du régisseur du grand Domaine de la Trésorière à Maureilhan, qu’ils rachèteront ensemble une fois mariés.

Il se fâche avec son père pour lequel cette union était inconcevable et ne lui parlera plus jamais.

Ami personnel  d'André Citroën, il devient son collaborateur et crée à Béziers une entreprise d'automobiles et transports en commun. Son commerce sera florissant, avec plusieurs antennes dans le Sud Ouest. On a conservé un de ses discours au salon de l'automobile 1921, on y reste d'ailleurs un peu perplexe devant la plaisanterie d'introduction.

 

Mais en 34, à la suite de le mort d'André Citroën, Clément n'est plus le même, trainant un état second de lassitude.

Eugénie, devenue une femme d'affaires puissante, respectée de toute la bourgeoisie biterroise, n'entend pas s'arrêter en si bon chemin, elle en veut à son mari d'être faible et de tergiverser sans cesse entre un monde de richesse et de pouvoir qu'est le leur, et ses mélodies idiotes qu'elle désigne monde infantile. Elle en oublie son mari, qui s'est fâché avec sa famille pour elle, et sa musique  qu'elle redoute comme une maîtresse, rivale impalpable et sans visage.

En 40 leur famille n'est plus qu'illusion: leur fils Jean, pilote de chasse, vénéré par sa mère, a disparu à la guerre, et leur fille, Colette, délaissée par Eugénie, ne pense qu'à courir les beaux partis de la ville dans son cabriolet.

Comble de l'humiliation, Eugénie demande le divorce. Il faut dire que les rumeurs enflent sur ses écarts conjugaux.

Alors un matin, Clément se chausse, traverse les longs couloirs de la propriété du Domaine, pour lequel seul semble battre le coeur de son épouse, le Domaine de la Trésorière. Fille du régisseur de la propriété, Eugénie n'avait eut de cesse toutes ces années de gravir l'échelle sociale et devenir un jour celle qu'elle avait toujours convoité d'être, la maîtresse de ces lieux ancestraux, avec leurs fontaines, leurs hectares de vignobles, et ce passé si prestigieux, demeure des Comtes de Béziers.

Pour Clément, c'en est trop, seul, rejeté de sa femme et de sa fille, son fils perdu, disparu à jamais, son ami parti lui aussi.

Il passe les fontaines, les jardins, et la grande porte, prend le chemin dans la direction des bois de la colline, là où passe, bien au-dessus des vignes, ce tout nouveau réseau électrique à haute tension qui alimente les villages voisins. Il se retourne une dernière fois et pose son regard vers la Trésorière endormie, acquisition, fruit de tant d'ambition et de fierté pour celle qui est encore sa femme. Il gravit tant bien que mal le poteau metallique, et se donne la mort par électrocution. On est en Novembre 1941.

Eugénie veuve, fit alors face à sa fille Colette, unique héritière. Une des plus longues et plus coûteuse succession de la région héraultaise débuta alors. Guerre sans merci, avec pour seuls moteurs l'argent et l'indifférence. L'argent, car Eugénie était riche à milliards, et par voie de fait, Colette aussi. L'indifférence, car tout à son drame d'avoir perdu son fils adoré à la guerre, elle en a ignoré sa fille, rendue coupable à ses yeux et dans son coeur à jamais fermé, d'être vivante, elle.

Sentiment implacable, qu'est l'indifférence, si bien que Colette en a fait son choix de vie, séduisant maris et bons partis, et ignorant ses enfants à son tour.

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Mais après cette histoire tragique, revenons à ce joli garage, témoignage de l'aventure des pionniers du réseau Citroën. Faut-il préserver ce bâtiment

J'ajoute au dossier qu'un autre garage de Clément Robert, à Lezignan-Corbieres, a déjà été classé. Voir ici.

 

L'avis du CESCQUAL

L'avis de Régis (de la DRAC)


Ce mois-ci, nous changeons d'époque et d'ambiance; nous sommes dans les   premiers temps des concessions Citroën, et cette architecture très élégante du début des années 20 n'exprime pas du tout le même message que pour celle de Caen; au modernisme clairement revendiqué des années 30 ou 50, cette façade du garage Robert de Béziers voulait au contraire rassurer!

Certes l'ère du cheval est révolue, mais nous conservons tous les symboles de l'écurie. 

Grande arche autour de deux pilastres, et fronton!

Pas de doute, dans l'inconscient collectif de l'époque, cheval-crottin ou cheval-vapeur, même combat! Ici, d'autres garages de la même époque, où l'on retrouve toujours le même concept de l'écurie, l'arche et le fronton; dans le cas de Béziers, même les   proportions d'Or sont là (le portail sous l'arche est un rectangle d'or!). 

Nous nous trouvons bien juste avant le virage de la modernité   architecturale...

Un regret? Oui; après Citroën, il est passé du coté obscur de la force....   (bien oui, on est citron ou on l'est pas!!!!) et puis qu'est-ce que c'est que   cette façade latérale? C'est dû à un percement d'une rue dans les années 60!?   Quelle horreur! 

Mon verdict: A conserver, bien évidemment!!!

L'avis de Jérôme (artiste et historien)
Pas d'avis ce mois-ci, j'ai la migraine.

L'avis d'Ivan (en direct du Novotel du Kremlin-Bicêtre)
Béziers, le pays où le bitterois!

L'avis du Docteur Danche (qu'on ne présente plus)
Merci Jérôme et Ivan, vous nous faites bien avancer.

Verdict du Cescqual: la DRAC doit-elle préserver ce garage?
A deux voix pour et deux absentions, oui!

 

PS: à Béziers toujours, on trouvait aussi dans les années 60: le garage Tressol sur la route d'Agde, déjà présenté ici.

Et aussi l'ancien garage Panhard et Levassor  Bergé-Bessou,  sur l'avenue Clémenceau, devenu Citroen quand celui-ci a repris Panhard.