<Tribune Libre>

mémoires d'une ID (suite), par Frederic

A part quelques petits soucis d’essuies glaces je ne lui ais pas fait beaucoup d’autres d’ennuis. Sauf peut être le dernier en date qui faillit bien être le dernier tout court. Nous sommes sur une route en pente avec en bas un feu rouge.Vitesse normale puisque le feu est au rouge. Il appui sur  les freins, la pédale s’enfonce comme d’habitude puis remonte pour devenir aussi dure qu’un bout de bois sans un millimètre de jeu. Pendant ce temps là nous continuons à rouler, le feu toujours rouge.

Il est long ce feu  puisque notre petite route coupe la nationale de Gagny à Chelles. Faut faire vite pour éviter l’accident. La seule chose qui reste c’est ce haut trottoir qu’il n’hésite pas à me faire frotter pour m’arrêter. Il n’avait pas pensé que je suis faite pour passer  au dessus de certains obstacles même aussi haut que ce trottoir. Et nous voilà donc tous les deux sur le trottoir, heureusement pas ou peu fréquenté à cette heure. Enfin arrêté, il ouvre mon capot pour voir ce qui a bien put se passer. Comme il a un peu appris la mécanique  il comprit en voyant le L H S 2 ressortir en geyser par le bocal du maître cylindre. Les coupelles du maître cylindres s’étaient retournées et la haute pression qui était sensé assister le freinage en fait poussait le piston dans l’autre sens avec pour résultat une pédale dure et plus de freins.
N’ayant pas la pièce pour me réparer de suite et ayant presque fini la remise en état du break je suis mise au repos en attendant des jours meilleurs. Jours qui mettront un certain temps à venir, puisque en date d’aujourd’hui je n’ai plus jamais roulé et qu’entre temps  je vais me retrouver à la fourrière parmi de vraies épaves, quelle frousse j’ai eue. Je vous explique. J’étais remisée sur une place de parking  pourtant louée avec son appartement. Comme je ne bougeais plus, mon arrière et mon immobilité durent déplaire à ce voisin policier aigri par sa propre bêtise puisque de son propre chef il appela la fourrière qui ne fit aucune difficulté pour venir me chercher. Quelle surprise quand le travail fini, le grand ne me trouva pas. Il va au commissariat pour déclarer le vol et là on lui apprend qui sont  les voleurs.
Parce que vol il y a bien eu: d’après le grand, j’étais garée dans une propriété privé (OPHLM) sur un emplacement loué et non un stationnement sauvage et surtout qu’il n’avait pas été informé de l‘enlèvement. Fort de son bon droit  il demande ma restitution et s‘entend répondre que ce n‘était plus possible vu que l‘administration française m‘avait déclarée en épave et qu’il n’avait pas répondu à la missive qui avait été envoyée ….au gardien de l‘immeuble (avec un Q I proche de celui de la limace lobotomisée).

Pour me récupérer il dut payer les frais de vol, pardon d’enlèvement et de gardiennage, racheter à la préfecture SA voiture qui était devenu un véhicule sans carte grise donc une épave et en plus il dut aller me rechercher à la fourrière de Drancy alors qu’il y avait une pré fourrière à Gagny. Habitant Villemomble, Gagny était tout près. Mais pourquoi faire simple ?

Plus tard  il récupéra une ID 19, une jeunette de 1967, bordeaux intérieur rouge avec laquelle il roula tous les jours, comme avec moi  avant. Il fit de nombreux kilomètres dans celle ci  il était satisfait de cette voiture en général. La seul ombre au tableau était justement le tableau de bord qui ne lui plaisait pas. Suite à son marché chez le fermier du centre il avait dans son stock un tableau de bord de DS d’après 1962. Que croyez vous qu’il fit ?

Puis un jour on me charge sur un camion. Pour où cette fois ?
Pour vivre à la campagne où de nouveau l’attente reprend. Le grand type ne m’a pas réparée mais il parle de restauration complète, vu mon état il ne roule plus avec moi ni avec celle de 1967 d’ailleurs, il préfère cette blanche qu’il a achetée depuis peu, une DS 21 de 1970. Bien sûr elle est plus récente que moi, bien sûr elle freine fort, bien sûr elle a une carte grise.

Elle n’est pas peu fière avec ses douze chevaux et son injection, sa belle peinture, son bon état et ses yeux de chat. Mais moi je suis de l’auto ancienne j’ai dix ans de plus qu’elle et puis je suis sa première ça compte dans la vie d‘un homme non ?

Le grand type connaissait le propriétaire de cette DS  par le biais de son travail. Puisque  le grand  à ce moment là était chauffeur livreur d’appareils électroménager en poids lourds. Il lui a livré de la marchandise pendant au moins un an sans savoir que ce monsieur possédait une  DS qui roulait vraiment très peu pour ne pas dire jamais. Puis vint un jour où sa réserve fut pleine pour raison de promotions ou de foire quelconques. Et puisque la réserve était pleine, ils devraient mettre les colis chez le patron du magasin, dans son pavillon.

Par expérience le grand savait que souvent dans les garages de personnes plus ou moins âgées sont rangés quelques trésors comme cette traction qu’il croisa au cours d’une de ses livraisons alors qu‘il travaillait dans l‘alimentaire. Cette voiture avait une histoire extraordinaire.
Une famille achète une traction neuve en mille neuf cent trente neuf . Cette famille roule quotidiennement avec l’auto puis part en vacances cette même année. Ayant parcouru à peu près  huit mille kilomètres de bonheur. Survinrent les événements terribles de cette année là. L’homme de la famille fut mobilisé et ne rentra jamais chez lui. Sa femme garda la traction en souvenir de son mari. Cette même femme refusa l’offre d’achat du grand et lui raconta cette histoire quand celui-ci insista peut-être maladroitement. La traction avait le dessus de l’aile droite usée comme si elle avait été poncé, laissant apparaître l’enduit ou l’apprêt rouge. Quand le grand demanda à la femme pourquoi, elle lui répondit tout simplement qu’elle montait sur l’aile pour aller ranger ses boites de conserves sur les étagères en hauteur derrière la voiture. Nous étions au début des années quatre vingt.
Qu’est devenue cette traction ?

Quand le grand rentra dans le garage et qu’il vit la DS blanche il sut que le patron ne la vendrait pas.

On ne garde pas une voiture pour rien, on a toujours une bonne raison. Après avoir fait sa livraison il  prit la liberté d’approcher la bête. C’était une version confort. Le grand commençait à être lassé de toute ces versions Pallas qu’il voyait à Vincennes. Elle était comme neuve affichant à peine soixante neuf mille kilomètres au compteur elle n’avait pas une bosse, pas une éraflure, pas une trace de rouille. Le grand n’en revenait pas, le seul problème de cette voiture était le siège conducteur  brûlé en plusieurs endroits parce que le patron fumait de petits cigarillos.
Le grand discuta avec le patron des qualités de la DS sur routes et surtout de sa vitesse sur autoroutes. Le grand dit quand même au patron en partant :
« Quand vous serez vendeur, pensez à moi. »
Depuis lors les deux hommes était sur la même longueur d’onde. Chaque rencontre était l’occasion de parler du temps où l’essence n’était pas si chère que ça et chaque fois il y avait une pointe de nostalgie dans la voix du patron quand il parlait ‘’d’avant les limitations de vitesses.‘’
Le grand avait du mal à imaginer cet homme d’un age certain avec ses cheveux blanc à cent quatre vingt sur l’autoroute avec mamie à ses cotés les cheveux aux vents. Dans ces années soixante-dix où pas beaucoup de choses était  interdites. Lui qui les avait traversées sans trop regarder autour de lui, alors que beaucoup de DS roulaient encore dans les rues. Faut quand même préciser que le grand  avait dix huit ans en mille neuf cent quatre vingt et qu’à cet age on a autre chose à faire que de mettre de la pièce de coté. Ces deux  hommes  s’appréciaient de plus en plus à chaque livraison qui pourtant ne durait jamais trop longtemps
‘’ faut bien travailler quand même ‘’. Comme quoi l’estime n’a pas besoin de mots pour vivre. Le temps continuait sa course sans jamais rencontrer d’obstacles. Jusqu’à ce jour de février où le patron dit au grand :  « Tu te souviens de la DS dans mon garage eh bien si tu veux je te la vends, t’es preneur ? »


Tu parles qu’il s’en souvenait. Tu parles qu’il était preneur. Tu parles qu’il allait saisir une telle opportunité. Il allait pour la première fois toucher à un bout de son rêve, celui d’avoir une DS neuve. Il devenait le troisième propriétaire de cette auto puisque aux dires du patron le tout premier propriétaire était un docteur à qui Citroën avait vendu cette DS pour le faire patienter en attendant d’être livré de la version pallas (encore une, mais une vraie celle là ) qu’il avait commandée.
Cette voiture a toujours gardée son immatriculation d’origine sachant que le premier proprio était toubib regardez  la plaque.


           

                                                   Étonnant non ?