<Tribune Libre>

La DSpécial de mon père, par Remy

Voici mon histoire –ou ma première histoire, qui sait ?- avec la DS, histoire qui ramène à des souvenirs d’enfance plutôt agréables.
C’était au milieu des années 80. j’avais 10 ans. Mon père avait à l’époque une 504 TI et suite à un accident la voiture fut déclarée « épave ». Il cherchait une voiture rapidement. Un ami à lui proposa de lui vendre une de ses DS. Il était agriculteur et inconditionnel de la DS, depuis longtemps. Il avait plusieurs DS en bon état remisées en plus de la Dsuper qu’il utilisait.
Mon père lui acheta donc un DSpécial de 1972 en bon état. La voiture était beige albatros, avait 100000km, et pas un point de rouille. Bien qu’un peu défraichie ,elle présentait bien. Je me souviens de sa ligne très épurée, presqu’ aérienne, surtout dans cette version sans baguettes latérales ni chromes, avec les poignées encastrées et les petits enjoliveurs. A l’époque c’était une voiture démodée mais qui gardait un caractère fort à cause de cette ligne gonflée à l’hélium, une ligne finalement moins démodée sur une DSpécial que sur les hauts de gamme. Et même si c’était une voiture ancienne, il y avait une panoplie de détails qui épataient les copains et rendaient cette voiture crédible: les portes comme sur les cabriolets, le cendrier dans le dossier, les clignotants arrière tout en haut, 4 pédales (la voiture de ton père elle en a combien ?) et bien sûr la suspension qui monte et qui descend.

Quand ou ouvrait la porte, à l’intérieur par contre c’était beaucoup moins excitant. Targa marron à l’odeur inimitable comme sur la 2CV4 de Pépère, revêtements de sol style lino et poignées en plastiques top ringardes. On se brûlait les cuisses sur les sièges l’été, et on était serrés derrière (nous étions 4 enfants). Les sièges avant énormes avaient un style canapé de province, ce qui dénotait beaucoup avec les sièges compacts à appui-tête de l’époque (par exemple la R5 "lauréate" de mon oncle).
Mon père conduisait la DS comme toutes ses autres voitures,  c'est-à-dire tambour battant. Je me souviens que c’était une voiture très rapide. Sur l’autoroute nous étions toujours sur la file de gauche et la DS dépassait allègrement toute la production de l’époque, 305 Peugeot ou R18, Golf, R9… Je me souviens de croiser pendant des heures à 170 compteur, la voiture chargée avec nous 6 et les bagages lors de départs en vacances. Elle tenait sa revanche sur des modèles bien plus récents. Le moteurs ronflait à plein régime et donnait une impression de bête de somme en plein effort, soufflant à plein poumons et entraînant en vibration toute la caisseJe me rappelle rouler sur une nationale à 180 avec mamie . La voiture était quasiment en apesanteur. Mamie était devant, tranquille, et ne saisissait absolument pas que la voiture roulait à cette vitesse. Ou bien encore en ramenant des copains à la maison, qui, en regardant le compteur changeaient de visage… Il faut dire que la DS ne rendait pas compte de la vitesse réelle comparée aux voitures de l’époque. A 110km/h, la DS ronronnait tranquillement et la tenue de route était très rassurante. Quand on était à 110km/h en Ami8 ou en 104, le moteur hurlait tant et mieux ce qui avec les bruits d’air nombreux donnait une impression de vitesse déjà grisante.

Mon père conduisait assis à la verticale, tel un évêque, passant les vitesse de la boîte mécanique avec beaucoup de majesté. Le passage des vitesses avec ce grand levier au volant donnait de toute façon beaucoup de contenance et de dignité au conducteur, en particulier le passage 2°-3°.
Je me souviens aussi de voyages l’hiver, à la montagne. La DS passait bien sur la neige malgré l’avant un peu lourd. Les sièges étaient froids et humides. L’intérieur était humide, une humidité impossible à faire partir, avec de la buée partout sauf sur  le pare brise. Mon père essuyait régulièrement la vitre latérale avec avant-bras pour regarder à gauche. La voiture avait un bon chauffage je me souviens. Cela donnait une impression de baigner dans la vapeur, dans un cocon, non sans un certain charme. Mon père roulait à 140 avec la galerie et les pneus clous sur l’autoroute. Quelquefois les roues avant étaient inversées avec les roues arrières et le moteur moulinait mais ça marchait bien quand même.
Mon père n’entretenait quasiment pas ses voitures. Les moteurs étaient démarrés à froid dans un grand coup d’accélérateur et sollicités de suite dans les hauts régimes. La DS partait en trombe sans avoir quasiment le temps de monter, mais globalement elle résistait plutôt mieux que ses autres voitures à ce traitement et ne tombait quasiment jamais en panne. Des fuites de liquide vert sous la voiture tachaient le sol et puis disparaissaient, une fois les courroies du ventilateur ont lâché (il ne devait en rester plus qu’une depuis déjà un moment probablement) mais c’est à peu près tout en 4 ans.
Le niveau d’huile n’était pas surveillé. Le moteur avait déjà un bon kilométrage et malheureusement ce qui devait arriver arriva : Un soir, en rentrant de Paris par la nationale mais à des allures d’autoroutes le moteur coula une bielle. Le casseur la racheta 50f. La DS était partie,. J’étais très déçu et à la fois je trouvais que c’était quand même pas mal comme fin. Et puis 200 000 km, je crois que c’était la première fois que mon père emmenait une voiture aussi loin.