<Tribune Libre>
Les catégories des Déessistes, par Paul

Le fondamentaliste.
C’est le déessiste de la stricte observance de la règle de St-Bertoni.
Pour lui, la vraie DS est morte en 1960, lorsqu’elle fut défigurée à coups de cendriers d’ailes avant d’être victime un peu plus tard d’une peste bubonique dont les symptômes noirs et caoutchouteux furent particulièrement visibles au niveau des pare-chocs.
Il n’admet que la pureté bertonienne originelle, vierge de baguettes, butoirs, phares à iodes et autres ajouts décadents. Il tolère en général les 60-61, néglige les 62, et considère les modèles suivants comme une dégénérescence. Quant aux post-70, avec leurs poignées de GS, leurs sièges en skaï, et leurs tapis de R12, ils ne valent, à ses yeux, pas plus cher qu’une 504.
Reconnaître un fondamentaliste dans les concentrations : il passe devant les DS 21, 23 et autres Pallas comme s’il s’agissait de Mégane d’occasion.

Le fidèle.
Il a acheté sa DS19 Pallas neuve le 12 mars 1967 et n’a jamais voulu en changer. Pour la bonne et simple raison que, à ses yeux, c’est la meilleure voiture en tout : performances, tenue de route, etc. Personne n’a pu le faire changer d’avis en dépit des assauts de trois catégories de personnes :

  • Madame, qui se dit que la clim, un lecteur CD, et un GPS ce serait bien agréable. Qu’une voiture qu’il tolérerait d’utiliser même quant il pleut ce serait bien pratique. Que de ne plus avoir à détailler le flanc d’un 38 t qui défile avec une angoissante lenteur quand il double, ce serait un soulagement.
  • Les trois générations de vendeurs de son concessionnaire Citroën qui ont essayé depuis quarante ans de lui vendre, sans succès, une DS 23, une CX2200 (pour le père), une GSA, une BX16TRS (pour le fils), une Xantia turbo D, et une C5 Hdi (pour le petit fils) à coup de reprises miracles et de remises mirifiques.
  • La dernière mais pas la moins redoutable ni acharnée : les collectionneurs qui bavent devant sa DS, ses 45000 km d’origine, sa première main, son absence de rouille et son dossier complet depuis le bon de commande. Trois camping-cars immatriculés en Hollande sont stationnés en permanence devant chez lui. Deux marchands contrent les propositions bataves par une avalanche de courriers. Et une nuée de collectionneurs tentent de séduire son épouse pour accaparer l’objet convoité le jour où il passera de vie à trépas.

Reconnaître un fidèle dans les concentrations : impossible puisqu’il ne les fréquente plus, lassé d’avoir à chaque fois sous ses essuie-glace 74 papillons porteurs de numéros de téléphones accompagnés de la mention « êtes vous vendeur ? » ou « te koop ? » ou « is it for sale ? » ou « ich bin vachement interested ».

Le versatile.
Exact inverse du précédent, il ne garde jamais ses DS plus de deux ans. Toujours à la recherche de couleurs, sensations de conduite, allures différentes. Il est en fait un perpétuel insatisfait qui espère toujours au bout de vingt ans de DS, trouver la perle rare, celle qui comblera ses désirs, qui le rassasiera définitivement. Et cette voiture il la connaît et la sait inaccessible. Car elle est une et multiple à la fois : c’est la DS de l’autre. Celle du copain, du hollandais, du musée, du marchand… Et à peine a t-il acquis la DS 23 de 75 bleu Delta qu’il convoitait depuis six mois, et qui lui a fait revendre sa DS 21 1968 bleu Andalou, qu’il louche sur la DS19 1959 bleu Nuage vue sur le site ouaibe d’un marchand. Au moins côté couleur est-il fixé : du bleu. Quoique le rouge Cornaline, se dit-il, ça a de l’allure… Cette espèce est toutefois menacée par deux phénomènes simultanés (ce qui doit permettre de refaire un cuir de DS. Jeu de mot très fin, je vous laisse chercher) : La réduction du marché et la flambée des prix.
Le reconnaître dans les concentrations : simple, il demande à toutes sortes de propriétaires si leur voiture est à vendre.

L’optionniste.        
L’équipement de sa DS23 injection n’est jamais assez complet. Cuir, climatiseur, lève-vitres électriques d’époque, poignée de capot, Robergel en tous genres ne l’ont pas encore satisfait. Il a passé l’été dernier à écumer les casses de Suède pour trouver un jeu d’essuie-phares montés sur les dernières DS vendues dans le pays. A t-il seulement pensé au calvaire de son mécano recherchant l’insidieuse panne du faisceau électrique ?
NB : cette espèce ne doit pas être confondue avec le robriiste qui privilégie les accessoires extérieurs et s’attaque, de préférence, aux modèles plus anciens. Voir plus bas.
Le reconnaître dans les concentrations : il est en général, soit penché sous son capot avec pinces crocodiles et voltmètre (J’comprends pas, quand je mets les clignotants, ça coupe la clim), soit en train de négocier un jeu de ceintures arrière à enrouleurs chez un marchand.
Vous n’avez toujours pas compris le jeu de mot plus haut ?! Allez un petit effort.

Le Robriiste.
Désignation générique car en fait, il écume les bourses d’échange à la recherche, non seulement de Robri, mais de GH, Sinti, Sacred, etc.
Son ID19 59 est perforée en tous sens et croule sous les baguettes, fausses prises d’air, poignées, enjoliveurs à rayons, butoirs, et autres grigris du meilleur goût. Le résultat est à mi-chemin entre le buffet Henri II garni de ruolz et faïences, et la concierge maquillée chez Ripolin et bijoutée chez Tati. Les filets de rouille résultant des nombreux perçages sauvages et non traités, achèvent de donner à sa voiture une touche personnelle. L’intérieur n’est pas en reste avec le fixe paquet « Ygrec », les housses « Gantex », et autres Levitan automobiles.
Sa voiture est d’ailleurs l’une des plus regardées sur les concentrations ce qui le comble de fierté bien qu’il se demande pourquoi diable elle génère souvent moues dédaigneuses ou tranches de fous rires.
Le reconnaître dans les concentrations : Il fouille dans les bacs ou sur les stands à grigris.
Simultanés, le cuir… vous ne voyez toujours pas.

Le puriste.
Il achève la restauration minutieuse de sa DS19 1957. Il a banni toute refabrication pour ne monter sur sa protégée que des pièces d’origine. Dans son atelier immaculé carrelé de blanc, trônent deux étagères. Celle de droite recèle toutes les pièces d’origine de la voiture, soigneusement nettoyées et dûment étiquetées avec la référence Citroën et la date de démontage. Sur celle de gauche, sont soigneusement rangés les emballages des pièces neuves montées sur la voiture, constituant un archivage aux noms évocateurs : Seima, Weber, Jaz, Jaeger,…
Les étiquettes de planning situées au dos des éléments de sellerie ont été reproduites sur papier d’époque par un imprimeur utilisant des machines contemporaines de sa voiture.
Il y a toutefois des éléments non d’époque sur sa voiture à son grand dam, ce qui lui vaut des nuits sans sommeil :

  • L’air dans les pneus
  • L’essence dans le réservoir
  • Etc.

Le puriste se reconnaît aisément dans les concentrations à son cri primaire, émis devant la quasi-totalité des voitures sauf la sienne : « cépadorigine ».
Rahhh là, là. Simultané, six mules tannées, ça permet de refaire un cuir. Comment ça, pas terrible ?!

Le meltingpoteur
C’est le spécialiste des juxtapositions hardies, l’André Breton des combinaisons, le dadaïste des finitions.
Sa DSuper 73 est équipée côté intérieur :

  • De sièges cuir havane provenant d’une Pallas 69.
  • De panneaux de porte en tissu bleu provenant d’une 20 confort 72.
  • De haut de porte cuir noir provenant d’une Pallas 67, maintenus en haut par de la baguette de seuil de porte fixée à la vis parker.
  • D’appuies têtes chaussettes en skaï blanc récupérés sur la 404 de son grand-père qui les avait achetés chez « Tout pour l’Auto » en 65.
  • De moquettes écossaises trouvées chez St-Maclou.
  • De manos de provenance diverses, qui ne marchent pas parce qu’imbranchables, mais que « ça ajoute une petite touche sport ».
  • D’une radio CD qui a valu à la planche de bord un découpage à l’ouvre boîte.

Côté extérieur :

  • De baguettes GH à mi hauteur des portes, et de fines baguettes Pallas en haut.
  • De rétros en plastique noir de 505.
  • D’une carrosserie comportant dans l’ordre, attention concentrez-vous bien :
  • Capot bleu platiné.
  • Aile avant droite vert argenté.
  • Aile avant gauche noire.
  • Portières blanc Meije d’un côté.
  • Orange métal de l’autre (un pote qu’avait des prix chez Opel).
  • Les ailes arrière sont en apprêt, la malle couleur rouille AC sassufi.
  • J’oubliais, le coffre arrière arbore une collection de logotypes descendant jusqu’au pare-choc : DS23, injection électronique, automatique, Pallas, turbo…

Le reconnaître dans les concentrations : Vu le descriptif de la voiture, vous avez encore peur de le louper ?! Indice supplémentaire : En général, un puriste gît devant sa voiture, terrassé par une attaque.

Le maniaque poissard.
Celui-là est victime d’une injustice flagrante. Il est aux petits soins pour sa DS : vidange tous les 3000 km, graissage soigné, réglage aux petits oignons, traitement immédiat de la moindre fuite, plaids sur les sièges, pas de sortie sous la pluie… Et malgré ce dévouement sans bornes, ladite DS fait preuve d’une ingratitude impensable : à peine a-t-il fait changé la direction qui suintait, que le régulateur centrifuge se grippe. Toute sortie se termine invariablement sur un plateau. Même avec une voiture restaurée jusqu’au plus petit boulon, il tombe toujours en rade.
Le reconnaître dans les concentrations : A supposer qu’il arrive, il est plongé sous son capot (ce qui peut le faire confondre avec un optioniste, voir plus haut) ou couché sous sa voiture. Ce qui, en été, permet de reconnaître le maniaque poissard à coup sûr s’il porte un short : il est bronzé des pieds à la ceinture et fromage blanc au dessus.

L’indifférent chanceux.
C’est l’exact inverse du précédent. Il a acheté sa DS il y a déjà plusieurs années et n’a strictement rien fait dessus, parfois même pas les vidanges. Et pourtant sa voiture démarre au quart de tour par tous les temps, accepte de faire huit heures d’autoroute à 160 en plein été sans chauffer ni consommer une goutte d’huile, ne fuit jamais. Si le maniaque poissard est tombé sur une révoltée, lui a dégoté une soumise, une tranquille. Et qu’on ne croit pas qu’un échange de voitures modifierait la donne. Si l’indifférent vend sa voiture au poissard après dix ans sans le moindre pépin, ladite voiture tombera en panne à peine la carte grise barrée signée. Quand on vous parlait d’injustice flagrante !

Le critique
Il ne peut voir une DS, fut-elle splendide, sans vomir un flot de critiques genre :
« Regarde-moi ça la peinture écaillée sur les jantes. »
« Et le tissu distendu sur le siège conducteur »
« Je ne sais pas où il a fait faire sa peinture peau d’orange »
« Les chromes piqués, bravo »
Etc.
Le reconnaître dans les concentrations : Evident lorsqu’il passera devant votre voiture. De plus il est certainement venu avec une Laguna garée sur le parking visiteur car le critique qui se plait tant à décrier les DS des autres n’en a en général pas lui-même ou alors juste une semi épave endormie depuis dix ans au fond d’un garage et qui ne reverra sans doute jamais le jour.

Le « connaisseur »
Espèce redoutable qui sévit principalement sur les salons et les expositions. Il n’est monté qu’une seule fois dans sa vie dans une DS, celle d’un oncle quand il avait douze ans. Cela ne l’empêche pas d’en savoir plus (du moins le croit t-il) que ceux qui roulent en DS depuis cinq, dix ou vingt ans.
Le connaisseur est un prédateur impitoyable qui possède une technique de chasse affûtée. Il rôde autour d’un stand de club DS et dès qu’il aperçoit un membre désoeuvré dudit club, lui saute dessus sans lui laisser la moindre chance. La malheureuse victime n’a plus qu’à endurer vingt minutes (minimum) d’âneries gros calibre.  Florilège :
« L’ID est sortie la première et après ils ont fait la DS »
« Les petits phares ronds, c’était l’ID uniquement. Je le sais, le beau-frère de ma femme connaissait un ingénieur dont le cousin par alliance avait failli rentrer chez Citroën. Bon finalement il est rentré chez Fiat mais c’est pour dire que les bagnoles, ça me connaît. »
« La DS, faut pas oublier de tirer la jauge à huile de temps en temps sinon elle monte plus. »
Etc, etc.
Le reconnaître dans les concentrations : Faites attention, c’est lui qui risque de vous tomber dessus le premier.

Le candide
Lui ne savait même pas qu’il était déessiste. C’est un ami qui lui a appris ça. Il y a même des clubs, sites web et autres bouquins consacrés à ça parait-il. Lui a juste acheté une DS à la veuve de son voisin parce qu’il la trouvait belle, pas trop chère et suffisamment spacieuse pour emmener toute la petite famille en vacances. Il est vierge de la moindre connaissance mécanique ce qui est sans importance tellement le ronronnement paisible du moteur éloigne les pannes possibles.
De tous, c’est certainement lui le plus heureux. Qu’il en profite car avec son copain branché club et mécanique, les ennuis ne vont pas tarder à commencer.
Le reconnaître dans les concentrations : le candide à l’état brut ne fréquente pas les concentrations. Il ne commence à le faire qu’en ayant changé pour l’une des catégories ci-dessus.