<Tribune Libre>
Carnet de route, par LaurentG
Carnet de route d’un Toulon-Paris et retour en DSuper fin septembre 2020.
Toulon, jeudi 24 septembre 2020, 19h00. Après ma journée de travail, je sors l’ID, et même l’ID 20 si j’en crois ce qui est inscrit sur la carte grise pour cette DSuper modèle 71, vérifie les niveaux et la pression des pneus. Dans le vaste coffre à l’ouverture étroite, je jette mon sac, quelques outils, une bobine, un alternateur et une pompe HP de rechange. C’est tout ce que j’avais sous la main, car j’aurais volontiers ajouté un allumeur complet et une pompe à essence… Je fais le plein d’essence, la moins chère, remets le compteur journalier à zéro et prends enfin la route en direction du nord dans cette voiture immatriculée pour la première fois en décembre 1970 à Marseille. Je la possède depuis maintenant 8 ans. Elle était à l’origine blanc meije mais sacrilège, a été repeinte par le précédent propriétaire il y a une vingtaine d’année dans un vert romarin pas trop moche qui, s’il provient bien du nuancier de chez PSA, n’est malheureusement pas du tout d’époque. Mea-culpa.
Sortie d’agglomération, il y a beaucoup de circulation en ce début de soirée, aussi ça n’avance pas très vite. Mais petit à petit celle-ci s’éclaircit alors que la nuit tombe, et je peux rouler sereinement à 90 km/h environ sur cette route qui monte en direction des Alpes. Très agréable cette série D. Des sphères récentes, les excellents sièges d’après 1968, malheureusement recouverts d’un vinyle moins sympathique qu’un tissu d’époque, et une position de conduite parfaite pour moi rendent le confort royal. Un peu trop de bruit cependant pour mes oreilles devenues sensibles. Aussi j’ouvre la fenêtre à l’aide de cette fragile manivelle en plastique blanc qu’il ne faut pas casser : les bourdonnements de la mécanique cessent alors, remplacés par quelques courants d’air.
Saint Maximin passe, puis Ginasservis et Vinon sur Verdon sont atteint assez rapidement sur ces routes du haut Var, profondément modernisées il y a une vingtaine d’années (pour l’avoir pratiqué, c’était quelque chose à l’époque…). La nuit est là depuis quelque temps déjà, il n’y a presque plus personne et c’est un véritable plaisir de rouler dans ces conditions. De Manosque à Sisteron, je prends l’autoroute afin d’éviter une zone dans laquelle la route n’est pas très agréable. Je ne dépasse cependant pas trop le 110, car au-delà les résonances et autres bourdonnements deviennent vite gênants, malgré la boite 5 vitesses, option d’époque dont la 5ème est cependant un peu courte dans le cas où le confort est recherché. Cette ambiance sonore prononcée reste pour moi le principal défaut de la voiture. J’ai pourtant tapissé le plancher d’insonorisant, remplacé les supports de boite par des neufs et réglé pile poil les supports moteurs lorsque j’ai refait celui-ci il y a peu…
Je quitte l’autoroute au péage de Sisteron. Ensuite, par le col de luz la croix haute et jusqu’à Vif dans la grande banlieue de Grenoble, c’est de nouveau une belle nationale sur plus de 100 km. Sur ce parcours, étonnamment, je n’ai rattrapé aucune voiture. Et aucune voiture ne m’a rattrapé ! Personne, je suis tout seul dans la nuit sur cette route large et plutôt sinueuse. C’est franchement surréaliste, et assez génial quand on pense à la circulation ici la journée en été. La DSuper ronronne et les grandes courbes sont prises sans ralentir, le tout dans un confort toujours aussi étonnant. On peut laisser son esprit rêver : Tiens, en l’absence de repères modernes, on pourrait même s’imaginer être en 1971. On roule au volant d’une DS, avec sous les yeux les compteur et compte tours faiblement éclairés d’une lueur verdâtre, l’imprécise jauge à essence qui passe maintenant quasiment du mini au maxi au gré des virages, les lignes continues puis discontinues défilent dans le halo des phares… pas de stress, aucune fatigue ne se fait sentir.
Moins géniale est la traversée de Grenoble et sa banlieue, obligatoire ici car l’autoroute de dégagement est actuellement fermée la nuit (ça fait deux ans qu’elle est en travaux). Puis Fontaine et Sassenage, toujours en agglomération. Les rues et routes sont déstructurées au maximum, des feux, parfois on se demande pourquoi, tous les 50 mètres et systématiquement au rouge. Du temps perdu inutilement pour traverser cette agglomération, alors que les rues sont quasiment désertes.
Enfin, 40 km plus loin j’arrive enfin dans le village de Poliénas en Isère, tout près de Tullins*, terme de cette première étape après quand même 5h30 de route. Bon évidemment, par l’autoroute de la vallée du Rhône avec une voiture «moderne » il ne faut que 3h00, mais je ne suis pas pressé et l’ambiance n’est pas la même.
Vendredi 25 septembre, une longue journée se profile. Je pars de Poliénas le matin à 9h00, direction la capitale cette fois. La DSuper se comporte toujours aussi bien. Ici et malgré ma collection de cartes Michelin, je mets en route le GPS afin de rouler sans me poser de questions, sans prendre l’autoroute et surtout sans me perdre sur un trajet que je maîtrise beaucoup moins que le précédent. La première partie, qui me fait passer entre Lyon et Bourg en Bresse est vraiment laborieuse. C’est une succession de ronds points, de ralentisseurs et il y a des camions partout. Ca n’avance pas. Le temps passe, mais pas les kilomètres ! En plus, sur le mouillé, car il pleut par intermittence, je suis sur des œufs : je ne m’en étais pas rendu compte jusqu’ici en roulant sur le sec : les excellents pneus avant, des Michelin XAS tout neufs que je viens de faire monter, ne sont pas du tout en phase avec les trop médiocres pneus japonais en 155/15, pourtant récents, qui sont installés à l’arrière. Ce qui fait que dans chaque courbe qui se referme un peu, à chaque rond point humide, je fais très attention car le dérapage n’est jamais bien loin, même en roulant tranquillement dans le flot de la circulation. Ca m’apprendra à vouloir faire des économies : cet étonnant déséquilibre avant/arrière sur une DS est franchement dangereux dans ces conditions, à corriger dès que possible!
Il est midi passé, petit pique-nique venteux et pluvieux sur une aire au bord de la route aux confins de l’Ain et de la Saône et Loire. C’est alors que je vois passer dans la direction opposée une improbable DS pallas grise (ou noire) d’avant 1968, suivie d’une Opel manta, qui me font signe à grands coups de klaxon bi-ton bien sentis… Ca ragaillardit sacrément !
Je reprends, humide, le volant de ma DSuper et place vite le levier de chauffage devant le large segment rouge, synonyme de chaleur, histoire de me réchauffer un peu et d’évacuer cette buée qui se forme. Enfin, Chalons sur Saône traversé, me voici sur la Nationale 6 et bientôt à l’assaut du Morvan.
Là, à part le froid et la pluie dehors, c’est du pain béni. Grandes routes souvent rectilignes, personne et une vitesse 90 à 100 compteur qui permet de conserver une moyenne honorable.
J’en profite pour faire un petit coucou au quasi séculaire garage Citroën de Saulieu, dont l’ancienne architecture, ici pas trop dénaturée, est probablement chère au nuancier.
On est toujours aussi confortablement installé si ce n’était le bruit pénible à la longue. Les essuie glace fonctionnent fréquemment avec suffisamment d’efficacité et restent, eux, plus silencieux que le 5 paliers. A ce sujet, la commande avec levier au volant est quand même plus pratique, à défaut d’être aussi exotique, que le petit bouton non repéré de la planche de bord des années précédentes.
Les routes de cette région restent faciles et agréables, et ce jusqu’à mon terminus près de Marne la Vallée dans le 77, que j’atteins peu avant 19h00. Et oui, dix heures de route quand même…
Samedi 26 septembre matin, la DSuper doit se préparer. Passage au lavage automatique, pas vraiment fait pour elle d’ailleurs. Pourtant placée en suspension haute, les rouleaux, tout en lavant le toit, appuient sur la carrosserie, faisant ici redescendre la suspension arrière, et alors forcément, les brosses rotatives sensées nettoyer les roues de brosser consciencieusement les ailes arrière, au risque d’arracher les frêles baguettes ! Enfin passage chez le fleuriste pour se faire belle. « Vous pouvez ouvrir le capot ? » me demande l’expert en décoration florale, les bras chargés de rouleaux de tulle… J’actionne la tirette d’ouverture gauche, « cling », puis la droite « … », rien ne se passe. Visiblement le câble est cassé ou décroché. Pas d’ouverture de capot possible, ce qui signifie accessoirement pas de vérification des niveaux non plus… Heureusement, la voiture est plutôt sobre sur ce point. Enfin, ma belle DSuper fait ce pour quoi elle était invitée, emmène la mariée puis les mariés entre les domiciles, mairie et le château dédié aux festivités. Soit une ou deux centaines de kilomètres d’autoroutes pas vraiment intéressantes à faire à travers le 77, le 91 et le 78. Mais voyons le côté positif des choses : cette voiture fleurie n’aura certainement jamais été autant photographiée, et même sur le trajet autoroutier !
Dimanche 27 septembre matin, je comptais aller déjeuner avec un ami à Paris dans le 12ème, un passionné comme moi, et qui roule parfois en GSA ou DS21 pallas de 1968. Manque de chance, aujourd'hui’hui c’est journée sans voiture dans la capitale. Et bien tant pis, on se verra une autre fois… Ailleurs certainement !
Ce dimanche, il est maintenant 15h30, c’est parti pour un retour dans le sud à partir de Marne la Vallée. Bizarre, le GPS ne me fait pas prendre exactement la même route qu’à l’aller, mais ça roule vraiment très bien jusqu’à… Chalons sur Saône. A nouveau la traversée du Morvan par la nationale 6, de loin la partie la plus agréable du trajet. Moi qui avais toujours entendu parler des terribles aventures d’automobilistes de la belle époque, naufragés de la Rochepot dans les années 50. Evidemment, aujourd'hui’hui il n’y a pas de neige pour tout bloquer, ni de voitures trop chargées en surchauffe dans les montées. Et puis les camions, la circulation ont maintenant déserté ces routes à l’apparition de l’autoroute à la fin des années 60.
Les essuie glace sont de nouveau mis à contribution sous les trombes d’eau que je subis à certains moments, puis les phares, jaunes évidemment. Là, même s’ils sont au nombre de 4, ils ne sont pas à iode, ni tournants, et ne sont à l’évidence pas excessivement efficaces. Notamment sur les routes mouillées, lorsqu’elles sont mal peintes sur certaines de ces improbables départementales par lesquelles mon fidèle GPS me fait passer sur le trajet hors des grands axes entre Chalons et Poliénas, commune d’arrivée de cette étape. En effet, même s’il n’y a plus grand monde sur ces routes un dimanche soir à cette heure, cette partie est globalement pénible lorsqu’on la compare à celle située plus au nord. J’arrive enfin à destination vers 22h00.
Lundi 28 septembre, 9h00, je reprends la route, ou plutôt l’autoroute, car pour éviter de passer trop de temps au milieu de la circulation routière très dense en journée, je prends lâchement l’autoroute, la vallée du Rhône, et arrive après environ 4h00 de conduite peu intéressante à 110 compteur, à Toulon.
Le compteur journalier indique 2088 km depuis le départ de ce petit périple, et j’ai consommé 9,6 l/100 sur le parcours. C’est plus que ce que j’imaginais, j’aurai pensé moins de 9 l/100 car j’ai roulé plutôt cool sans monter les régimes et à vitesse raisonnable.
Je retiendrai de cette longue ballade avec une voiture âgée de 50 ans, bien que ce soit une DS : Ce qui semble une évidence avec une auto d’aujourd'hui’hui mais qui peut être parfois négligé sur une ancienne qui roule peu souvent, les phares doivent être bien réglés, les essuie glace en bon état, il ne doit pas y avoir d’odeurs d’essence lorsque l’on roule avec le plein. La voiture doit posséder de bons pneus (!), un système de désembuage en état de marche, ne pas prendre l’eau sous la pluie. Bonne surprise en ce qui me concerne, pas d’eau en provenance de la gouttière du toit ou du joint de pare-brise. Les amateurs de DS qui roulent par tous les temps me comprendront. Par contre le coffre était trempé !
*Un dimanche midi d’octobre 2019, je sors avec mes cageots de chez le primeur de Tullins et vois un jeune homme photographier ma DSuper garée devant. La conversation s’engage immédiatement sur les DS. Il est de Lyon (à 80 km de là) et passait par hasard dans le coin. Il me dit posséder une 2CV de 61, et avoir déjà roulé en passager dans une ID 68 bleu angora, et aussi dans une DS 61 gris typhon, le veinard ! Sur le moment je ne fais pas le rapprochement. Il connait bien le modèle et on évoque le millésime et la teinte improbable de ma voiture qui hésite entre le vert argenté et le bleu platine. Arrive alors forcément dans la conversation l’incontournable site du nuancier, qu’il connait au moins aussi bien que moi, et pour cause ! C’est un ami de Régis (de la DRAC…). Finalement je l’emmène lui et sa copine, faire un petit tour dans ma DSuper, et lui laisse même le volant. Souvenir émouvant d’une rencontre tout à fait fortuite. J’ai oublié son nom…
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