<Tribune Libre>

On a retrouvé la DS de Fantomas! par Tungstène  


Qu’il s’agisse du rondouillard inspecteur Bertrand ou de ses deux acolytes, on se souvient que les adjoints du commissaire Juve ne brillaient ni par leur vivacité d’esprit, ni par leur efficacité. Que de fois se sont-ils fait berner ou semer par le redoutable Fantomas !
Un minimum de méthode et de sens de l’observation les auraient pourtant mis sur sa piste. Déformation professionnelle me direz-vous, mais les limiers du CESCQUAL, eux, n’ont en effet pas été longs à identifier la plaque minéralogique de la fameuse DS 19 volante de l’ennemi public numéro 1 : 2141 RT 75 ! La preuve en photo, extraite du film "Fantomas se déchaine".

A partir de là, il suffisait de tirer sur la pelote… Nos contacts au sein de la police nous ont ainsi permis d’apprendre que Fantomas (oui c’est bien moi) avait immatriculé sa « 19 » par la société écran Pac, 26 rue Marbeuf  à Paris 8ème (on se doute bien qu’il n’habitait pas Garges-lès-Gonesse, et on peut relever la finesse de l'artiste en se remémorant qu'Arsène Lupin était domicilié à Paris au 36 rue Marbeuf), en juillet 1965 (la première carte grise est datée du 25).On devine qu’il ne se déplaça pas en personne, mais envoya un de ses hommes de main.

On détecte ensuite une deuxième transaction, en 1966. Sans doute sous un nom d’emprunt afin de brouiller les pistes : le nouveau propriétaire serait un certain Henri Chastang, domicilié 3 rue des Saussaies, toujours à Paris 8ème. Rue des Saussaies oui vous avez bien lu ! Quoi, vous ne percutez pas !? Mais c’est là que se trouve le Ministère de l’intérieur ! Encore une provocation de l’infâme Fantomas !

Enfin, en 1975, la DS trouve une seconde vie plus paisible dans les Côtes-du-Nord (lesquelles ne s’appelaient pas encore « Côtes d’Armor »). Hein !? Fantomas aurait pris sa retraite en Bretagne, à Plougastel-les-Menhirs ou à Kertroudec-sur-Mer !? Personnellement, je n’y crois pas une seconde.
Premièrement, en 75, je pense qu’il avait bazardé depuis longtemps sa vieille 19, qui devait pisser le LHS de partout. Et puis pardon, fortune faite, je le vois plutôt rouler en Bentley ou en Aston Martin.
Deuxièmement, qu’aurait-il été foutre dans un bled ou il pleut trois cents jours par an ? Absurde.
Je ne pouvais pourtant pas en rester là, et planter le lecteur en rase campagne. On a une conscience professionnelle ou on n’en a pas.
Bref, j’ai fait mon balluchon, me suis rendu à mon box pour récupérer la 21, et après les vérifications d’usage, me suis mis en route pour enquêter sur place. Quarante-cinq ans s’étaient écoulés depuis, et l’affaire ne s’annonçait pas simple, mais à cœur vaillant, rien d’impossible.


N’étant pas rétribué à la ligne, je vous épargnerai les longues semaines d’investigation. Mais grâce à quelques anciens, j’ai pu à peu près reconstituer le fil.
Alors voilà, nous sommes à Trédarzec (22), à l’été 1975. Monsieur André Le Guillou, marchand de couleurs, rêve depuis des années de posséder une DS. Seulement la bête lui fait un peu peur. Et puis il ne roule pas sur l’or. Remarquez, une DS liquide rouge, en 75, ça ne devait pas non plus coûter une blinde. Enfin comme on le sait, la vie est faite de hasard, et un jour qu’il vient récupérer son Ami 6, en réparation chez l’agent Citroën local (un certainYvon Quemeneur d’après ce que l’on m’a rapporté), il repère une belle DS blanche (AC144 ?) deuxième nez. Comme Quemeneur voit qu’il la reluque, celui-ci l’interpelle : « elle est pas mal hein ? Je l’ai rachetée à un Parisien de passage, elle est à vendre. ». On discute un peu le bout de gras, Quemeneur propose une petite reprise sur l’Ami 6, et l’affaire est dans le sac.
Quelques jours plus tard, la 19 stationne devant le magasin, ce qui ne va pas sans susciter quelques jalousie. Eh oui, Trédarzec est un village, ça jase… D’autant que Monsieur Le Guillou n’y a pas que des amis. Ainsi Emile Laurent, petit agriculteur, qui lui voue une haine féroce. Une sombre histoire, un conflit entre les deux familles qui remonte à plusieurs générations, au sujet d’un lopin de terre qu’elles se disputent.
Or nous sommes dans la Bretagne profonde, terre de toutes les superstitions. Il en est une en particulier, à laquelle croient encore beaucoup de Bretons à cette époque : celle de Saint-Yves-de-Vérité, que l’on invoque lorsque l’on souhaite la mort de quelqu’un que l’on poursuit de sa vindicte.
On suppose ainsi que le Sieur Laurent lui fit ses dévotions (la pratique voulait que l’on fît le tour de la chapelle une bougie à la main, jusqu’à ce que celle-ci fût entièrement consumée), puisque que quelques mois après que Monsieur Le Guillou s’était rendu propriétaire de la fameuse DS, on la retrouva mystérieusement pulvérisée (et lui avec) au beau milieu d’un vaste champ. Plus étonnant encore, une mue s’était opérée, et l’engin gisant au sol tenait pour moitié d’une automobile et pour moitié d’un aéronef. Sortant de dessous la caisse, l’on distinguait en effet nettement des ailes (enfin ce qu’il en restait), et sur l’arrière, deux tuyères ! Mais qu’avait-il bien pu se passer !?
Personne bien sûr n’est là aujourd’hui pour témoigner, mais l’explication la plus plausible semble être celle-ci. Nous sommes à l’automne, les premiers froids arrivent, et Le Guillou veut actionner le chauffage. Du moins ce qu’il croit être le chauffage…
Maintenant regardez bien cette image :


Tout le monde aura reconnu la main de fer de Fantomas en train déclencher le mécanisme de sortie des ailes de sa DS !
Voici un nouveau document secret que nous avons retrouvé dans le fonds documentaire du GEPAN (Groupe d’études des Phénomènes Aérospatiaux Non identifiés). On distingue nettement la voilure en train d’être déployée :

Elle est là l’explication de cet étrange accident ! Sans le savoir, Le Guillou avait racheté la propre voiture de Fantomas ! Et lorsque de sa main innocente il a voulu s’envoyer un peu d’air chaud dans les pieds, il a tout simplement mis en route les réacteurs et les moteurs commandant l’ouverture des ailes ! Lui qui n’était jamais monté dans un avion, comment aurait-il pu contrôler un tel OVNI ?
La fatalité me direz-vous ? A moins qu’il ne faille voir dans cette tragédie une main cachée. Les voies de Saint-Yves-de-Vérité sont impénétrables…

 

Mot de la fin, par le Dr Danche.

Etrange histoire que celle contée ici par Tungstène.

Les esprits forts seront tentés de penser qu'il a forcé sur l'anisette et a tout inventé.

Mais le problème qui se pose à nous, c'est le nombre de preuves allant dans son sens.

Car voici des documents d'archive 100% authentiques, collectés en mains propres, par mes soins.


On y lit que la 2141 RT 75 est une DS19M, numéro de série 4436496.

Elle est immatriculée le 23/07/65 par "PAC", 26 rue Marbeuf.

La "PAC", c'est la "Production Artistique et Cinématographique", la société de production d'André Hunebelle (on se reportera à ceci), tout concorde donc parfaitement.

En bas de page, des inscriptions datées me restent incompréhensibles.

Puis en Juillet 66, c'est bien, comme l'affirmait Tungstène, un certain Henri (ou René?) Chastang, 3 rue des Saussaies, qui récupère la voiture.

On lit encore quelques inscriptions confuses, puis la voiture quitte ensuite la seine le 27 Novembre 1975 pour partir dans les Côtes du Nord, sous la plaque 365 QL 22.

C'est donc là-bas qu'il faudrait la chercher aujourd'hui, dans la lointaine Bretagne Nord, patrie d'Yves de Tréguier, mon Saint patron.

A moins que la fin de l'histoire de Tungstène ne soit malheureusement exacte elle aussi.